Lourdes : « Les coups de cœur de Karine »

La rubrique des « Coups de cœur Karine » est une rencontre hebdomadaire sur le site de Lourdes Actu, proposée par la Médiathèque avec Karine Aristin Chargée de la culture.

Cette semaine elle vous propose « LES CIVILISES » de Claude FARRERE.

LES CIVILISES

L’auteur :

Claude FARRERE. Officier de marine et écrivain, né en 1878 à Lyon et mort en 1951. Infatigable voyageur, comme grand observateur de la nature humaine, Claude Farrère fut un auteur extrêmement prolifique, tant au niveau de l’écriture de romans, que de récits de voyages, d’essais, de chroniques, ou d’ouvrages concernant la marine. Véritable fresque sur la vie dans les colonies indochinoises, « Les Civilisés » -le roman dont il s’agit, ici- lui valut le Prix Goncourt, en 1901.

L’histoire :

Saïgon, début du XXe siècle, le docteur Mévil, très avantageusement implanté dans la « bonne société » consacre son après-midi à effectuer de menues visites de courtoisie auprès des dames en vue, du très restreint cercle colonial de la ville.

Ce soir, il est prévu que le fringant médecin doté d’une élégance compassée, parte faire « la vie » avec ses deux compères habituels, en la personne de Torral et Fierce. Les deux hommes sont aussi des personnages hauts en couleur. Torral est un brillant ingénieur – mathématicien, pourvu d’une intelligence si aiguë que l’homme en devient comme déshumanisé. Fierce est un aristocrate, engagé comme second d’un commandant de vaisseau, qui revient juste de Chine.

Fierce, de par une enfance infiniment comblée matériellement, mais terriblement solitaire, accumule les conquêtes féminines, les beuveries et les fréquentes expériences de drogues aussi diverses que faire se puisse. Quant à Mévil, sa réputation de séducteur et de médecin fort complaisant relativement à la prescription de produits psychotropes, n’est point usurpée.

Ainsi, les trois amis, décidés à fêter dignement, avec force beuveries et conquêtes féminines, le retour de l’officier de marine Fierce, se retrouvent tout d’abord au cabaret où ils enlèvent une des chanteuses dont le talent se révèle inversement proportionnel à la débordante lascivité.

Leur errance festive, à tous quatre, les mène dans le quartier chinois de Cholon, puis dans tous les endroits de la ville où la débauche, le sexe et le lucre règnent en maîtres despotiques et immuables. Car cela aussi, c’est la colonie indochinoise, tout autant si ce n’est plus que tout autre chose qui la caractérise habituellement.

Les quatre amis sont repus d’excès divers. La vie reprend ainsi son cours, mêlant un vernis de respectabilité le jour et une formidable courses au vice, dès la nuit tombée.

Pourtant, Fierce, le plus jeune (27 ans), par le biais du commandant de son vaisseau, qui s’est pris d’une affection toute paternaliste pour son second, rencontre l’orpheline d’un héros de guerre, mort au combat : le commandant Sylva. La jeune fille, pourtant, moins belle et sophistiquée que plusieurs coloniales de sa connaissance, pose en lui, d’une façon qui est totalement incompréhensible et fort désoriantante, pour ce dernier, le germe d’un cas de conscience quant à ses mœurs.

Ce qui m’a plu :

Claude Farrère, possède un art consommé pour observer et décrire, de manière quasiment anthropologique, la société coloniale indochinoise, dans son quotidien, dans ses rêves et ses désillusions. Cette précision chirurgicale dans la description de ce monde n’ôte, en rien, l’extraordinaire talent de l’auteur.

La verve romanesque, toute pétrie d’un regard neutre, presque cynique, et d’un souffle narratif transporte littéralement le lecteur, dans cette atmosphère particulière de l’Indochine coloniale. L’indolence, les transports brusques, les coups de sang, tout comme le goût de l’interdit dû à l’ennui. Mais aussi, pour certains, l’éveil de la conscience après un long sommeil des émotions, tout cela est décrit avec une intensité qui démontre, de façon éblouissante, la connaissance intrinsèque, que possède Claude Farrere, de l’âme humaine.