« En décembre 1845, les Chanteurs Montagnards de Bagnères-de-Bigorre parcourent la Palestine. Ils chantent dans toutes les églises qui se trouvent sur leur route, ils se rendent au bord du Jourdain « où M. Roland, rappelant le premier baptême, prit une branche, la trempa dans le fleuve, arrosa le personnel, la bannière et tous les ornements destinés aux chapelles … ».
En décembre 2019, 174 ans plus tard, les Chanteurs Montagnards de Lourdes, missionnés par leur Ville pour la représenter lors du lancement des fêtes de Noël à Bethléem, ont fait un peu de même lors d’une petite excursion dans la vallée du Jourdain. Bien entendu les temps ont changé et s’ils se sont agenouillés au bord de la rivière sainte, c’est pour tremper leur main dans l’eau plus que par profonde dévotion. Ils ont d’ailleurs regardé avec un peu de distance les fidèles, des touristes venus de tous horizons, qui, l’un après l’autre, se sont immergés dans l’eau brunâtre d’un cours d’eau dont le débit, depuis quelques années, est devenu bien maigre. En effet, le niveau du fleuve a beaucoup baissé, depuis que certains ont décidé en amont qu’ils avaient plus que d’autres le droit d’irriguer leurs cultures, quitte à assécher la mer morte.
Mais il n’y a pas que le niveau de l’eau qui a changé depuis l’expédition de Roland. Même si alors les temps étaient déjà un peu troublés, entre ambition égyptienne, revanche ottomane et manigance européenne, les chanteurs de Roland n’ont vu ni palissades de barbelés, ni chek-point, ni soldats en armes, ni panneau d’avertissement au beau milieu des eaux : « border ahead ».
Impossible aujourd’hui d’aller visiter l’église St-Jean-Baptiste qui se trouve à quelques dizaines de mètres de l’autre côté du Jourdain, en Jordanie. Nous avons pu néanmoins, quelques kilomètres plus loin, chanter un Tiébié paiom de circonstance sous la coupole de l’église grecque orthodoxe du monastère de Gerasimos fondé en 445. Quelle émotion, au milieu de ces icônes et de ces dorures qui ont traversés les siècles et les guerres !
Mais l’objet de notre voyage était d’abord de participer à la cérémonie d’ouverture des fêtes de Noël de Bethléem (jumelé avec la ville de Lourdes). Nous avons été dignement reçus par le maire de Bethléem, Anton Salman, en l’honneur duquel nous avons chanté, devant les portraits de Yasser Arafat et Mahmoud Abbas, le Chant de la Paix de Léo Delibes. Nous avons ensuite flâné dans les rues de la vieille ville, assisté à la prière du vendredi sur la place de la Mangeoire au son tonitruant des haut-parleurs perchés tout en haut du minaret de la mosquée d’Omar Ibn al-Khattab, nous avons parcouru quelques chemins de campagne aux abords de la ville, senti l’énergie d’une population qui essaie tant bien que mal de résister à l’infortune. Que de chantiers inachevés, de fers à béton en attente en haut de piliers qui ne soutiennent que le bleu du ciel ! Et en face de ces côteaux arides et abrupts à l’urbanisme incohérent, nous n’avions pas pris garde tout d’abord, à ces lignes régulières, à ces quartiers impeccables et denses qui surplombent la misère palestinienne de son opulence, les installations des colonies israéliennes qui s’imposent comme une frontière intérieure hautaine et infranchissable.
De végétation, il n’y en a guère. Quelques abricotiers ou grenadiers desséchés, quelques vestiges de terrasses de vergers d’oliviers dont il ne reste bien souvent que des troncs, des moignons tourmentés dans la pierraille et les détritus. Car il semble que les palestiniens, accablés par leur situation politique, en oublient les soins élémentaires que tout gouvernement se doit de prodiguer au territoire dont il a la charge. On se demande s’il existe ici des services de voieries. Les quelques containers que l’on trouve au bord des routes sembleraient en attester, mais généralement ils sont à peine remplis dans le fond, quand tout alentours est jonché de détritus. Certains tronçons de route ressemblent à des décharges à ciel ouvert. Voilà qui accentue encore le caractère désolant de la situation palestinienne.
Et pourtant la population semble vivre normalement. Des enfants aux regards espiègles essaient de nous aborder en anglais. Puis s’étant rendu compte de leur méprise, reviennent en courant pour échanger avec nous quelques mots de français que l’un d’eux a su retrouver. Les enfants que nous avons rencontrés dans les locaux de l’Alliance française ne sont pas très différents des nôtres, ils ont tous dans les mains, même les plus jeunes, le petit écran tactile dont plus personne ne sait se passer de nos jours. Dans la rue, les gens sont accueillants et nous abordent volontiers pour savoir d’où nous venons, sourient quand on leur annonce la France et ponctuent par un « welcome in Palestine ». La circulation automobile est terriblement dense, et malgré une interprétation assez différente des règles de la circulation que celle qui prévaut chez nous, malgré de nombreux engorgements, tout semble se faire dans la bonne humeur. La priorité de droite cède le pas à la priorité de celui qui a le plus de culot, mais tout cela dans le calme. On se teste, mais on ne s’insulte pas. Et quant à la ceinture de sécurité, elle n’a pas l’air d’exister dans un pays où le mot sécurité à d’autres connotations que celles liées à la circulation automobile. 25 personnes dans un bus qui n’est censé n’en contenir que 21, ça n’est pas un problème à partir du moment où ce ne sont pas toujours les mêmes qui restent debout !
Mais le temps fort pour les Chanteurs Montagnards, ça a été leur apparition sur la scène de la place de Mangeoire, à côté du sapin illuminé, devant une foule de plusieurs milliers de personnes, devant les autorités locales, civiles et religieuses, en présence du premier ministre de la Palestine venu honorer la communauté chrétienne de son pays. Mais il s’en est fallu de peu que cette image d’une troupe de chanteurs en habit pyrénéen, guêtres aux mollets et bérets sur la tête, sur la scène du sapin illuminé de Bethléem, n’existât jamais. Car le premier ministre était pressé. Toute la fête en a été chamboulée, et au moment où nous allions monter sur scène, quelqu’un est arrivé tout agité et nous a fait dire par le technicien qui nous guidait « vous n’allez pas pouvoir chanter maintenant, le premier ministre va parler. Si vous voulez, vous pouvez repartir vous reposer et on vous rappellera quand se sera votre tour…, ou bien vous pouvez attendre ici … » « Attendre, mais combien de temps, une heure ? » « Non, peut-être 15 minutes … » et le technicien de conclure par un facétieux « welcome in Palestine ! ». 15 minutes, rien n’était moins sûr, mais les Chanteurs avaient la ferme intention de se faire entendre, alors nous avons répondu « Eh bien, on attend ici » Et puis d’autres personnes sont arrivées au pied de la scène, les répliques fusaient de toutes parts, la nervosité était sur tous les visages, quand soudain pour conclure le technicien nous enjoint de monter sur scène, « ah bon, alors on y va quand même ! » Alors, nous leur avons chanté Minuit chrétien, ne sachant si les paroles de ce chant de noël républicain allaient pouvoir retentir dans le cœur d’un public non francophone : « peuple debout, chante ta délivrance, Noël, voici le rédempteur ! »
Pour être complet, il aurait encore fallu parler de l’église de la Nativité dans laquelle nous avons fait retentir la langue d’Oc avec le Maria de Nadau, de la visite, grâce à Michele, guide improvisé, du Palais de la Convention, Cité des cultures et des civilisations, dont nous avons testé l’excellente acoustique des salles avec Haut Peyrot ou le Chant de la Paix, du repas traditionnel dans une des plus anciennes auberges de Bethléem que nous avons saluée avec Amor d’Aussau, des jeunes palestiniens qui viennent apprendre notre langue à l’Alliance française à qui nous avons chanté Petit garçon en réponse à un chant en français qu’ils avaient préparé à notre intention, et la liste n’est pas exhaustive, mais se doit de terminer avec un hommage à notre jeune guide palestinienne, étudiante en master de culture européenne, Ariman, qui s’est démenée avec un sourire et une énergie indéfectibles pour nous rendre le séjour le plus agréable possible, et dont le prénom signifie à peu près « ce que l’avenir nous réserve ».
Nul doute que les Chanteurs ont été touchés au cœur par cette excursion en Palestine et qu’ils souhaitent que l’avenir réserve au peuple palestinien des évolutions vers la paix, la dignité et la tolérance. Un grand merci enfin à la Ville de Lourdes pour leur avoir fait confiance et leur avoir donné l’occasion de prouver leur attachement à la culture de leur ville et de leur pays en de telles circonstances. Joyeux Noël à toutes et à tous ! »