Lourdes : « Les lettres de Bernadette » ont ému les spectateurs

Ce jeudi 11 avril à 18h, au Palais des congrès, dans le cadre de « L’Année Bernadette », a eu lieu une Lecture -spectacle consacrée à la plus célèbre des enfants de Lourdes. Etaient présents le Maire-adjoint aux Affaires cultuelles Madeleine Navarro, le Recteur du Sanctuaire le Père André Cabes, le Curé de Lourdes Jean-François Duhar et un nombreux public de Lourdais très attachés à leur petite Bernadette.

En effet, la Municipalité en partenariat avec le Sanctuaire et la Paroisse, a programmé un Cycle de lectures-spectacle musical concernant Bernadette et Lourdes, à l’occasion du 175 Anniversaire de sa naissance et du 140 Anniversaire de sa mort en cette année 2019.

Le sujet du spectacle était « Bernadette par elle-même : écrits et paroles » (1ère partie).

La comédienne Jeanne Montaigu s’est transformée pour l’occasion en une Bernadette plus vraie que nature.

La lecture théâtralisée des lettres à sa sœur, à son frère, à l’Abbé Peyramale, au Pape Pie IX…a conquis le public et les lettres sur la mort de sa mère puis de sa nièce, de sa tante et de son père ont tiré des larmes à de nombreux spectateurs très émus par le contenu et par la fraîcheur du jeu de Jeanne Montaigu.

A travers ses lettres encore, on découvre les souffrances physiques et morales de Bernadette, toujours sublimées par de ferventes prières et par la communion qui permet de recevoir « Notre-Seigneur qui seul peut guérir l’âme et le corps ».

La lecture théâtralisée était accompagnée avec justesse et harmonie par un guitariste hors pair, Vincent Tosca, qui a su trouver les sons et la musique parfaitement adaptés au contenu des lettres. 

Les lettres de Bernadette

La prière de Bernadette.

Que mon âme était heureuse, bonne Mère, quand j’avais le bonheur de vous contempler !

Que j’aime à me rappeler ces doux moments passés sous vos yeux plein de bonté et de miséricorde pour nous !

Oui, tendre Mère, vous vous êtes abaissée jusqu’à terre pour apparaître à une faible enfant et lui communiquer certaines choses, malgré sa grande indignité.

Aussi, quel sujet d’humilité n’a-elle pas.

Vous, la Reine du ciel et de la terre, avez bien voulu vous servir de ce qu’il y avait de plus faible en ce monde.

O Marie, donnez à celle qui ose se dire votre enfant cette précieuse vertu d’humilité.

Faites, ô tendre Mère que votre enfant vous imite en tout et pour tout, en un mot, que je sois une enfant selon votre cœur et celui de votre cher Fils.

Vous savez que mon bonheur serait de me consacrer à l’état religieux, afin de pouvoir mieux vous servir ainsi que votre cher Fils.

Je mets toutes mes intentions sous votre sainte protection et vous prie d’enlever tous les obstacles si toutefois il y en avait, car vous le pouvez mieux que personne.

Aux sœurs de l’hospice de Lourdes 20 juillet 1866

Mes bien chères Sœurs,

Vous devez être impatientes de recevoir de mes nouvelles. Il me semble vous entendre me qualifier d’indifférente. N’importe, je vous dirais que je suis tellement habituée à toutes vos méchancetés, qu’à présent, mon pauvre cœur est insensible à tout.

Laissez-moi vous dire comment nous avons fait le voyage. Nous sommes arrivées le mercredi à six heures du soir à Bordeaux et nous y restâmes jusqu’au vendredi une heure. Je vous prie de croire que nous avons bien profité du temps pour nous promener, et en voiture s’il vous plaît ! On nous fit visiter toutes les maisons. J’ai l’honneur de vous dire que ce n’est pas celle de Lourdes et surtout l’Institution impériale; on dirait plutôt un palais qu’une maison religieuse ! Nous fûmes voir l’église des Carmes, de là, nous nous dirigeâmes vers la Garonne pour voir les vaisseaux. Nous fûmes encore au Jardin des Plantes : je vous dirai que nous avons vu quelque chose de nouveau ; devinez quoi ? Des poissons: rouges, noirs, blancs, gris; c’est ce que j’ai trouvé de plus beau de voir ces petites bêtes nager en présence d’une foule de petits gamins qui les regardaient.

Le vendredi, nous couchâmes à Périgueux. Le lendemain, nous nous mîmes en route à sept heures du matin et nous arrivâmes à Nevers vers dix heures et demie du soir,

Il faut que je vous dise que Léontine et moi, nous arrosâmes bien la journée du dimanche par nos larmes ! Les bonnes Sœurs nous encourageaient en nous disant que c’était une marque d’une bonne vocation. Je vous assure que le sacrifice serait bien plus amer à présent s’il fallait quitter notre cher noviciat ; on sent que c’est la maison du bon Dieu, il faut l’aimer malgré soi ! Tout nous y porte et surtout les instructions de notre chère maîtresse. Chaque parole qui sort de sa bouche va droit au cœur, aussi, je ne cesse d’adresser mes faibles prières au Seigneur pour le remercier de tant de grâces dont il ne cesse de me combler tous les jours. Je vous prie, mes bien chères Sœurs, de vouloir être assez bonnes pour offrir quelques prières à cette intention pour moi, et surtout quand vous irez à la Grotte. C’est là que vous me trouverez en esprit, attachée au pied de ce rocher que j’aime tant. Je vous demande tout particulièrement un souvenir dans vos ferventes prières devant cette bonne Mère. De mon côté, je ne vous oublie pas devant Notre-Dame des Eaux qui est au fond du jardin dans une espèce de Grotte ; c’est là où je fus » dégonfler mon cœur les premiers jours, et, depuis, notre chère maîtresse a bien voulu nous y laisser aller tous les soirs.

Je prends donc la liberté, Monseigneur, de venir à vos pieds, solliciter de Votre Grandeur une paternelle bénédiction.

Petite brebis de votre nombreux troupeau, j’ai besoin de secours et de grâces, pour correspondre aux nombreux bienfaits que j’ai reçus du Seigneur.

Je sens, de plus en plus, mon impuissance, depuis, surtout, que j’ai le bonheur d’être revêtue du saint habit religieux qui, joint aux noms, si beaux et si chers à mon cœur, de Marie-Bernard, m’impose de grands devoirs à remplir.

Veuillez, Monseigneur, recevoir l’hommage du très profond respect avec lequel

J’ai l’honneur d’être, en Notre-Seigneur,

De Votre Grandeur

La très humble et très soumise petite fille.

A l’Abbé Pomian le 27 Janvier 1867

Monsieur l’Abbé,

Je n’aurais jamais cru qu’un coup aussi pénible vînt frapper si tôt mon cœur, je ne pourrais vous dire la peine que j’ai éprouvée en apprenant si subitement la mort de ma mère, j’ai appris plus tôt sa mort que sa maladie, Je comprends qu’on l’a fait pour ne pas me faire de la peine, mais hélas ! le coup n’a pas été moins cruel, car en lisant la lettre que ma chère Mère m’écrivait, je ne me fis point illusion, ma première pensée fut que ma Mère n’était plus de ce monde. Je me mis à même d’offrir ce douloureux sacrifice à Notre-Seigneur et sa sainte Mère, et fus me réfugier au pied de leur autel adresser quelques prières pour le repos de son âme, et implorer leur assistance pour le reste de ma famille. C’est là aussi que j’ai demandé à Notre-Seigneur de vouloir bien m’accorder les grâces nécessaires pour porter courageusement la croix qu’il me présentait.

Je vous serais bien reconnaissante, Monsieur l’Abbé, si vous vouliez avoir une intention, dans vos ferventes prières, pour le repos de l’âme de ma mère, ainsi que pour mes parents.

Je ne cesse de demander à Notre-Seigneur de conserver votre santé et qu’il vous comble de plus en plus de ses abondantes bénédictions, afin que vous puissiez travailler longtemps à le faire aimer. Ce sont les vœux et les souhaits que je forme pour vous au commencement de l’année.

Veuillez agréer, Monsieur l’Abbé, les sentiments respectueux de votre très humble et reconnaissante servante.

«Le bonheur de faire ma profession religieuse»

(Au Curé Peyramale, 25 février 1868)

Aux termes du Droit Canon, la novice qui a fait profession in articulo mortis et qui guérit, doit renouveler cette profession au temps voulu. Cette seconde profession eut lieu pour Sœur Marie-Bernard, le 30 octobre 1867. Mais bientôt sa santé s’altéra de nouveau : elle dut attendre près de trois mois pour faire part de sa joie au Curé de Lourdes.

Monsieur le Curé,

Je vous prie de me pardonner si j’ai tardé jusqu’à ce jour à vous faire part de la joie que j’ai éprouvée le jour où j’ai eu le bonheur de faire ma profession religieuse ; je me serais acquittée plus tôt de cette dette, que m’impose la reconnaissance, si bon Dieu ne m’avait retenue au lit par plusieurs graves maladies.

Laissez-moi vous remercier, Monsieur le Curé, des ferventes prières que vous avez eu la bonté d’adresser au ciel pour ce moi jour-là, et vous prier de vouloir bien les continuer afin de m’aider à remercier Notre-Seigneur et sa très Sainte Mère de toutes les grâces dont ils m’ont comblée.

Je vous prie d’être assez bon, Monsieur le Curé, pour faire agréer mon profond respect à Monsieur l’abbé Pomian, ainsi qu’à Messieurs les Vicaires. Je les remercie des ferventes prières qu’ils ont eu la bonté de faire pour moi.

J’ai vu, ces jours-ci, une Demoiselle qui m’a beaucoup parlé de vous, Monsieur le Curé, et de votre voyage à Rome, c’est là qu’elle a fait votre connaissance ; j’ai appris également avec plaisir que vous aviez eu le bonheur de voir Notre Saint-Père et de lui parler ; j’espère, Monsieur le Curé, que j’aurai une petite part dans la bénédiction que vous aurez dû solliciter de Sa Sainteté pour le troupeau confié à vos soins.

Je termine, Monsieur le Curé, en me recommandant à vos ferventes prières, surtout pendant le St Sacrifice de la Messe ; demandez pour moi, je vous prie, la vertu d’humilité et un grand esprit de sacrifice.

Soyez assez bon, Monsieur le Curé, pour me recommander aux prières de la Congrégation, je serais bien reconnaissante à toutes ces demoiselles si elles voulaient avoir la charité d’adresser quelques prières à Notre-Seigneur et sa très Sainte Mère à mon intention, afin de les remercier des grâces qu’ils m’ont faites, surtout quand elles iront à ma chère grotte ; je tâcherai de le leur rendre en adressant mes prières quoique bien faibles à Notre-Seigneur dans son Sacré Tabernacle.

Recevez, Monsieur le Curé, l’hommage du profond respect avec lequel je suis

Votre très humble et reconnaissante servante.

Deuils chez les Soubirous

(février-mars 1871)

En février, la petite Bernadette meurt au foyer de Marie et Joseph Sabathé. Le 4 mars, décès de François Soubirous, le père de Sœur Marie-Bernard. Tante Lucile, à laquelle elle fut et reste très attachée, meurt à son tour le 16 mars. Après la mort de François, Sœur Marie- Bernard prend conscience de ses responsablilités d*« aînée », ce qui n’est pas un vain mot dans les familles bigourdanes. Elle écrit à Marie, à Jean-Marie, et à Pierre (qui, de surcroît, est son filleul).

À sa sœur Marie, elle écrit le 9 mars 1871 :

Ma bien chère sœur,

Il a plu à Notre-Seigneur de nous enlever ce que nous avions de plus cher en ce monde, notre cher et bien-aimé père. Je viens pleurer avec toi ; restons cependant toujours soumis et résignés, quoique bien affligés, à la main paternelle qui nous frappe si rudement depuis quelque temps. Portons et embrassons la croix que notre bon Jésus nous présente, demandons-lui, ainsi qu’à la très Sainte Vierge, force et courage, afin de la porter à leur exemple, sans nous laisser abattre.

La séparation de notre cher et bien-aimé père est bien pénible, mais la consolation est grande, puisqu’il a eu le bonheur de recevoir les sacrements ; remercions Notre- Seigneur de cette grande grâce. Prions beaucoup pour le repos de son âme et celle de notre pauvre mère. Je te prie de faire dire des messes pour eux le plus souvent que tu pourras.

Je suis vivement touchée de la charité et de la bonté de notre Vénérée Mère générale, qui a fait dire aujourd’hui une messe pour notre pauvre père, toute la communauté prie pour lui et pour la famille. Ma bonne sœur, je te recommande, ainsi qu’à Joseph, de ne pas vous laisser aller au chagrin.

Ma bonne sœur, j’ai pris une bien large part à la peine que ton cœur de mère a éprouvée en perdant ta petite Bernadette ; console-toi, c’est un petit ange que nous avons au ciel, qui prie pour nous en ce moment où nous en avons bien besoin.

Il paraît que ma tante Lucile est bien mal, peut-être morte dans ce moment. Je m’attends à tout, écrivez-moi, je vous en prie, et ne me cachez rien. Si ma tante est encore de ce monde, dis-lui que je prie pour elle, ainsi que toutes nos chères Sœurs; je demande au bon Dieu et à la très Sainte Vierge de vouloir bien la conserver à ses enfants. Je ferais volontiers le sacrifice de ma vie pour elle à Notre-Seigneur si c’est sa volonté.

Les sacrements ne font pas mourir ; on me dit que ma tante a commencé sa confession, cela m’a fait plaisir. J’espère qu’elle est terminée et qu’elle aura le bonheur de recevoir Notre-Seigneur, qui seul peut guérir l’âme et le corps ; dis-lui que je suis bien souvent auprès d’elle par la pensée; je charge la petite (nièce) d’embrasser sa mère pour moi.

Ne pouvant pas envoyer une médaille à ma tante, comme elle m’en témoignait le désir, je lui envoie un petit morceau de drap de la soutane de notre Saint-Père le Pape.

Donnez-moi des nouvelles le plus tôt possible. Je termine, ma bien-aimée sœur, en vous embrassant tous bien affectueusement; je te donne rendez-vous au pied de la croix, c’est là que nous trouverons force et courage.

Sœur Marie Bernard Soubirous

« Où trouver un ami comme Jésus ? »

(À sa sœur Marie, 28 avril 1873)

Lettre toute simple, toute illuminée de Vamour de Jésus-Christ, du désir du ciel, mais aussi de tendresse pour les siens et du souvenir de la « chère Grotte » : « J’y vais très souvent, même sans permission »; Sœur Marie- Bernard voile d’une plaisanterie malicieuse ce qui risquerait d’apparaître trop sentimental dans son souvenir de Massa bielle.

Ma chère Marie,

Je me hâte de te donner des nouvelles de ma santé; me voici encore une fois ressuscitée après avoir gardé trois mois le lit. J’ai d’abord commencé par une crise d’asthme qui a été passablement longue; ensuite un fort crachement de sang qui ne me permettait pas de faire le moindre mouvement sans qu’il se renouvelât; tu croiras sans peine que d’être ainsi clouée n’arrange guère ma nature bouillante. Voilà les forces qui reviennent. J’ai assisté à la messe le jour de Pâques pour la première fois.

Notre-Seigneur est bien bon; j’ai eu le bonheur de le recevoir tout le temps de ma maladie trois fois par semaine dans mon pauvre et indigne cœur. La croix devenait plus légère et les souffrances douces quand je pensais que j’aurais la visite de Jésus, et l’insigne faveur de le posséder dans mon cœur, Lui, qui vient souffrir avec ceux qui souffrent, pleurer avec ceux qui pleurent. Où trouver un ami qui sache compatir et en même temps adoucir nos douleurs comme Jésus ? Il n’appartient qu’à Jésus et à Jésus seul. Aimons-le et attachons-nous à Lui de tout notre cœur.

Je te prie de me faire savoir si ma cousine Lucile Nico- lau est chez les Sœurs de la Croix à Saint-Pé, ne l’oublie pas, je tiens beaucoup à le savoir. Mon frère Marie- Bernard m’a donné de ses nouvelles, il paraît que Joseph a été le voir. Je vous inviterais à en faire autant, mais c’est trop loin; au ciel nous nous reverrons, là il ne faudra plus se séparer. Je te prie d’être assez bonne pour offrir mes sentiments respectueux à tous nos chers parents; je les prie de ne pas m’oublier dans leurs prières, surtout quand vous allez à ma chère Grotte; vous m’y trouverez quelquefois ; j’y vais très souvent, même sans permission.

Donne-moi de tes nouvelles le plus tôt possible, ainsi que de la petite Justine. Embrasse-la pour moi. Adieu, ma bonne sœur, reçois l’assurance de ma sincère et religieuse affection.

Ta sœur dévouée,

« Dans ma chapelle blanche »

(À Sœur Victorine Poux, 27 juin 1876)

Ma bien chère Sœur Victorine,

Je suis heureuse de profiter de la bonne occasion des sœurs de ma chère Sœur Mélanie; ces bonnes dames veulent bien se charger de mes commissions pour vous et les chères Sœurs.

Que vous dirai-je sur mon………… que je suis toujours dans ma chapelle blanche. Je puis cependant, depuis trois semaines, assister à la sainte messe le Dimanche, quitte à me remettre au lit en revenant; j’ai complètement perdu l’usage de mes jambes : il me faut subir l’humilia- tion d’être portée, mais nos sœurs le font de si bon cœur que, vraiment, le sacrifice est moins grand. Je crains toujours qu’elles prennent mal, et quand je leur dis, elles se mettent à rire, et je dirais même à se moquer de moi; elles me disent qu’elles en porteraient quatre comme moi.

Je vous prie d’être assez bonne pour offrir mon profond respect à M. l’abbé Pomian, et lui dire que je me recommande d’une manière toute particulière à ses prières, ainsi qu’aux vôtres ces jours-ci ; j’en ai bien besoin ! Que je me convertisse enfin une bonne fois.

Je serais bien reconnaissante à M. l’abbé Pomian de prendre un peu sous sa protection notre second aumônier qui est très timide et souffrant; je connais trop sa charité pour craindre de lui demander ce service.

Mille et mille choses affectueuses et respectueuses de ma part à toutes nos chères sœurs, ainsi qu’à la bonne Mère Philomène et ses compagnes. Je demande un Je vous salue, Marie pour moi aux chères petites orphelines; je prie pour elles.

Je vous prie de remettre le paquet que ces dames vous donneront, à Marie. Je vous remercie pour toutes les bontés que vous avez pour moi ou pour les miens.

Votre soumise et affectionnée Sœur.

Sœur Marie-Bernard écrit au Pape Pie IX

(17 décembre 1876)

Écrire au Pape, comme le lui suggère Mgr de Ladoue, P évêque de Nevers ? Une tâche bien délicate pour Sœur Marie-Bernard… et la Communauté de Saint-Gildard! Alors Sœur Marie-Bernard fait un premier brouillon, on le lui corrige, elle recopie, on le lui corrige encore. Nous avons fort heureusement les trois états de cette lettre. Mais icit il faut préférer la spontanéité du « premier jet » à la perfection épistolaire de la lettre finalement expédiée.

Au Pape Pie IX Nevers le 17 Décembre 1876

Très Saint-Père,

Je n’aurais jamais osé prendre la plume pour écrire à Votre Sainteté, moi, pauvre petite Sœur, si Monseigneur de Ladoue, notre digne Évêque, ne m’eût encouragée, en me disant que le moyen sûr d’avoir une bénédiction du Saint-Père, c’était de vous écrire, qu’il aurait la bonté de se charger de ma lettre. Le combat s’engage entre la crainte et la confiance; moi, pauvre ignorante, petite Sœur infirme, oser écrire au Très Saint-Père, jamais; mais pourquoi tant craindre ? C’est mon Père, puisqu’il représente le bon Dieu sur la terre, le Dieu trois fois saint que j’ose recevoir si souvent dans mon pauvre cœur; c’est parce que je suis faible que j’ose recevoir le Dieu Y fort; le même motif m’encourage, très Saint-Père, à venir me jeter à genoux à vos pieds pour vous demander votre bénédiction apostolique, qui sera, j’en suis sûre, une nouvelle force pour mon âme si faible.

Que pourrai-je faire, très Saint-Père, pour vous témoigner ma vive reconnaissance ? Il y a longtemps que je suis zouave, quoique indigne, de Votre Sainteté1, mes armes sont la prière et le sacrifice, que je garderai jusqu’à mon dernier soupir; là seulement l’arme du sacrifice tombera, mais celle de la prière me suivra au ciel où elle sera bien plus puissante que sur cette terre d’exil. Je prie tous les jours le Cœur Sacré de Jésus et le Cœur Immaculé de Marie, de vous conserver encore longtemps au milieu de nous, puisque vous les faites si bien connaître et aimer. Il me semble, chaque fois que je prie selon vos intentions, que du ciel la Très Sainte Vierge doit souvent jeter ses regards sur vous, très Saint-Père, puisque vous l’avez proclamée Immaculée, et que, quatre ans après, cette bonne Mère vint sur la terre pour dire : Je suis l’Immacu- lée. Je ne savais pas ce que cela voulait dire; je n’avais plus entendu » ce mot. Depuis, en réfléchissant, je me dis que la Sainte Vierge est bonne : on dirait qu’elle est venue confirmer la parole de notre Saint-Père.

je baise très humblement vos pieds et je suis, avec le plus profond respect,

Très Saint Père,

De Votre Sainteté,

La très humble et très soumise fille.

Signé ; SŒUR MARIE-BERNARD SOUBIROUS,

religieuse de la Charité et de l’Instruction chrétienne de Nevers.

Nevers, le 17 décembre 1876.

« Un Ave Maria quand vous irez à ma chère Grotte »

(À Mgr Peyramale, 28 décembre 1876)

La fidélité de Vamitié et de la reconnaissance marqua toujours les relations de Sœur Marie-Bernard.

L’Abbé Peyramale, aujourd’hui Monseigneur Peyramale, resta, à Nevers comme à Lourdes, « son » curé. D’autant qu’il veilla paternellement sur sa famille.

Monseigneur,

C’est avec bonheur que mon cœur voit arriver l’époque du premier de l’an où il lui sera permis de venir vous exprimer les vœux et les souhaits bien sincères qu’il forme pour vous, Monseigneur. Je demande au Saint Enfant Jésus qu’il vous conserve encore de longues années au milieu de vos chers paroissiens, afin que vos bons exemples et votre zèle infatigable et plein de charité puissent les édifier encore longtemps.

J’ai appris avec une grande joie, Monseigneur, que les travaux de votre nouvelle Église étaient avancés. Je n’oublie pas la petite prière que je vous ai promis de faire tous les jours à votre intention. Permettez-moi de vous demander en retour un Ave Maria, quand vous irez à ma chère Grotte. J’en ai bien besoin; voilà plus d’un an que je suis dans ma chapelle blanche, je ramasse le peu de forces que j’ai pour aller à la messe le Dimanche, avec le secours d’un bras; heureuse encore si je puis continuer cet hiver, car l’année dernière, j’en ai été privée jusqu’au mois de Mai.

Il paraît que notre cher petit orphelinat occupe une large place dans votre cœur, et que vous êtes souvent le pourvoyeur, jusqu’à leur acheter du bois. Je n’avais pas besoin de cela, Monseigneur, pour connaître votre charité, j’ai été trop souvent moi-même l’objet de votre paternelle sollicitude pour penser qu’il en fût autrement pour ces chères petites orphelines. J’étais assurée d’avance qu’elles trouveraient en vous, Monseigneur, un cœur de vrai père.

Permettez-moi, Monseigneur, de vous exprimer, encore une fois, ma vive reconnaissance pour toutes les bontés que vous m’avez prodiguées, ainsi qu’à ma famille.

Ma chère Sœur Nathalie me charge de vous faire agréer ses vœux de bonne année avec l’hommage de son profond respect.

Veuillez agréer, Monseigneur, avec mes vœux, l’hommage de mes sentiments les plus respectueux et les plus reconnaissants.

Votre très humble et très obéissante fille en Notre-Seigneur.

Sur la mort de Mgr Peyramale

(À l’Abbé Pomian, 15 septembre 1877)

Mgr Peyramale mourut le 8 septembre 1877, en la fête de la Nativité de Notre-Dame. Il fut assisté à ses derniers moments par l’Abbé Pomian. La reconnaissance de Sœur Marie-Bernard n’est pas une vertu du bout des lèvres; elle s’enracine dans le sentiment sincère de sa pauvreté.

Monsieur l’Abbé,

Je regrette vivement de n’avoir pu vous écrire plus tôt, mais la mort si prompte de notre cher et vénérable Monsieur le Curé m’a atterrée. Quelle cruelle perte pour les habitants de Lourdes ! Ils seraient bien ingrats s’ils ne reconnaissaient dans la mort de notre cher et bon Pasteur un excès de zèle pour la gloire de Dieu et le salut de leurs âmes. Il paraît que le chagrin qu’il aurait éprouvé au sujet de la nouvelle église aurait contribué beaucoup à sa mort. Je n’en serais point étonnée, il avait tant à cœur l’œuvre qu’il avait si bien commencée ! Il faut adorer les desseins du bon Dieu, puisque rien n’arrive sans sa per- * mission; sans cela, je crois que j’en voudrais un peu à mes chers Lourdais d’avoir fait de la peine à ce bon Père qui leur portait un si vif et si paternel intérêt. C’est le jour de la Nativité de la très Sainte Vierge que j’ai appris cette foudroyante nouvelle. À 9 heures, ma chère Sœur Nathalie vient me trouver à la tribune et me dit qu’on venait de recevoir une dépêche qui annonçait que Monsieur le Curé était au plus mal. Le lendemain, la seconde qui annonçait sa mort. Vous dire, Monsieur l’Abbé, ce que j’ai souffert serait impossible î Mais autant la peine que j’ai éprouvée était grande, autant a été douce la consolation que j’ai eue en lisant que notre regretté Monsieur le Curé avait eu le bonheur de recevoir les derniers sacrements avec sa pleine connaissance et d’être assisté à son dernier moment par vous, monsieur l’Abbé, son ami de cœur, son fidèle et zélé serviteur.

La très Sainte Vierge est venue chercher notre bon Père le jour de sa Nativité pour récompenser les sacrifices et les rudes épreuves qu’il a acceptées et souffertes pour son amour.

Je ne doute nullement, Monsieur l’Abbé, de la profonde douleur dans laquelle vous a plongé la mort si prompte et si inattendue de notre digne et Vénéré Pasteur. Le respectueux attachement que vous lui portiez me dit bien haut combien grand doit être le vide qu’il fait autour de vous. La pensée seule que nous avons un protecteur de plus au ciel peut adoucir notre peine.

Depuis trois mois, ma santé s’est beaucoup fortifiée; je puis suivre une grande partie des exercices de la communauté, je me promène et j’ai très bon appétit.

En vous priant, Monsieur l’Abbé, de vouloir bien me donner une petite part dans vos prières et saints sacrifices, je vous offre l’expression de mes respectueux hommages avec lesquels j’ai l’honneur d’être votre bien humble et soumise enfant.

Les « musées Bernadette » de Lourdes et de Nevers en portent témoignage; à Nevers, en particulier, on conserve d’elle des aubes brodées qui font l’admiration des visiteurs.

A mon frère Pierre le 7 Octobre 1878

Mon cher frère,

Notre vénérée Mère générale, en me remettant ta chère lettre, m’aurait presque grondée de t’avoir laissé si longtemps sans te donner des nouvelles de ma santé. Je suis heureuse de pouvoir te dire que mes forces reviennent peu à peu; je suis encore un peu boiteuse; il y a trois mois que j’ai abandonné les béquilles. Ne te tourmente pas, ce n’est rien de grave, tout simplement une douleur sciatique au genou qui m’a fait un peu souffrir, c’est vrai, mais c’est passé.

Cher ami, je ne veux pas laisser partir ma lettre sans te faire part de mon bonheur : j’ai eu l’insigne faveur d’être admise pour faire mes grands vœux de religion le 15 septembre, jour consacré aux 7 Douleurs de la très Sainte Vierge; je suis bien indigne d’une grâce si grande; aide- moi par tes prières à remercier un peu Notre-Seigneur et la très Sainte Vierge.

Voici la raison pour laquelle je vous écris si rarement : il m’a été dit que mes lettres couraient partout, cela m’a fait de la peine, et si cela se renouvelait, je n’écrirais plus à personne.

À propos de tes larmes, je te dirai qu’en lisant ta lettre, j’ai eu la même faiblesse que toi; j’ai été obligée d’avoir recours à mon mouchoir; tu vois que je comprends ce que ton bon cœur éprouve. Allons, cher ami, un peu de générosité de part et d’autre : si le bon Dieu nous demande le sacrifice de ne plus nous revoir sur la terre, faisons-le avec joie.

Je te prie d’offrir l’hommage de mon profond respect à Monseigneur, en priant Sa Grandeur de vouloir bien agréer mes remerciements pour le grand intérêt qu’il daigne te porter.

Adieu, cher frère, je te quitte en t’embrassant bien affectueusement.

Ta toute dévouée sœur qui te donne rendez-vous auprès des Cœurs Sacrés de Jésus et de Marie.

P. S. — Je joins à ma lettre un petit Sacré-Cœur que j’ai fabriqué, porte-le sur toi.