Lourdes : « les coups de cœur de Karine »

La rubrique des « coups de cœur Karine » est une rencontre hebdomadaire sur le site de Lourdes Actu, proposée par la Médiathèque avec Karine Aristin Chargée de la culture.

Cette semaine elle vous propose « RUE DES MALÉFICES » de Jacques Yonnet

RUE DES MALÉFICES

L’auteur : Jacques Yonnet (1915 – 1974). Ecrivain, dessinateur, peintre, chroniqueur, chansonnier, sculpteur, poète, aussi. L’on peut constater que Jacques Yonnet se sentit tout à fait à son aise dans l’expression de nombreuses disciplines artistiques.

De plus, il faut saluer sa part, active et fort efficace, dans la résistance parisienne, lors de la seconde guerre mondiale, ainsi que son immense connaissance d’une frange du peuple de la capitale, aujourd’hui disparue, qui ne se laissait, de coutume, que très difficilement approcher.

L’histoire :

Autant poser le décor, immédiatement. Ce livre n’est absolument pas un roman, mais se laisse dévorer comme tel, à la mesure de la magie, du surréalisme, et du caractère extraordinaire qu’il contient en ses pages.

Tout est vrai, nous dit-on, malgré les faits invraisemblables relatés… Imaginez un instant : rive gauche entre la Rue Mouffetard, la Place Maubert, la Rue de Bièvre. Paris sous l’occupation. Jacques Yonnet, en cavale. Prisonnier des allemands, il vient de s’évader. Quoi de mieux pour un fugitif que de se dissimuler dans ce quartier dont l’adjectif « populaire » ne représente qu’une pâle image de la faune locale qui vit ici ! Sans logis, gangsters, gitans parisiens se côtoient, se mêlent, agissent les uns sur les autres.

Mais il y a bien plus étrange… Peut-être est-ce dû au lieu, duquel, probablement, sourdent des émanations et des ondes magiques.

Par exemple, que dire de cet horloger, installé dans le quartier depuis toujours, qui ne semble jamais vieillir. Que penser de cela à la lumière d’une légende dont Jacques Yonnet a eu connaissance ? Cette légende qui raconte qu’au Moyen-Âge, un oriental converti au christianisme, fabriquait des horloges envoûtées qui permettaient à leur possesseur de régresser en âge…

Que dire aussi de ce gitan qui, vexé des rebuffades d’un cafetier de la Rue Mouffetard, jeta sur son chien, sa maison et lui-même, un sort terrible ; une espèce de lèpre qui terrasse tout.

Autre chronique incroyable ? Cette fille vêtue de gris, qui ressemble à un chat, et qui transporte un matou roux, borgne, et méchant comme la gale, qu’elle aime plus qu’elle-même, qui va disparaitre, malgré l’attention de la jeune fille. Et ladite fille, qui, ce même jour de la disparition du chat, se met à la colle avec un ouvrier roux, borgne, et tout autant méchant comme la gale ! Le tragique, ici, se mélange à l’extraordinaire, car après une énième, terrible et définitive dispute, on ne retrouvera qu’une chatte grise occise, dans le logis.

Ce qui m’a plu :

Ce livre est littéralement époustouflant, et il n’est en rien étonnant que l’ouvrage présenté, compta parmi ses admirateurs, de prestigieux noms de la culture et des Arts français, tels que Doineaux –qui fut l’ami de Yonnet-, Prévert, Claude Seignolle, ou Raymond Queneau, qui, tous considéraient ce livre comme étant le meilleur écrit sur Paris, durant l’occupation.

De plus, inutile de s’embarrasser d’une quelconque recherche de rationalisme en lisant ces pages. Vraies ou pas, les histoires relatées nous emportent, de toute façon vers des dimensions aussi fascinantes que mystérieuses. Nous entrons dans la pure magie d’un endroit hors du commun, par son histoire et par la population qui lui confère son âme.

Mais c’est aussi -et cela participe de l’enchantement- la façon dont sont croqués les portraits des différents protagonistes, avec leurs attitudes, leur état d’esprit, leur gouaille, et cet argot parisien inimitable, qui représentent une incursion littéralement exotique, dans un monde secret, verrouillé sur lui-même, et occulte, que Jacques Yonnet, par son immense empathie, a réussi à pénétrer.