Communiqué Union Départementale des syndicats CGT des Hautes- Pyrénées :
« C’est le cœur lourd que nous vous adressons ce portrait de Jean-Pierre HOUILLON qui nous a quittés sur la pointe des pieds, jeudi dernier.
Jean-Pierre a marqué de son empreinte et de son militantisme le mouvement ouvrier dans les Hautes-Pyrénées.
Comme le rappelait notre camarade Jean-Luc Ambrosini, président de l’IHS départemental : « C’est un de ses anciens dirigeants que l’UD Cgt vient de perdre. Permettez – moi de saluer la profondeur de son engagement qui a marqué toute sa vie, pour ce que nous lui devons. », l’Union Départementale salue la mémoire d’un de ses anciens dirigeants.
Prêtre ouvrier, délégué syndical au sein de son entreprise, membre de la Commission Exécutive de l’UD de 1983 à 1990, Jean-Pierre était connu comme cofondateur du « DLAJ » (le secteur juridique) départemental et de l’accueil syndical et juridique de l’Union Locale CGT de Tarbes. Il a aussi présidé la section commerce du Conseil des Prud’hommes. Son militantisme syndical était inscrit dans sa foi et il œuvrait sans cesse à relier ses deux combats accompagnant par exemple la création de la permanence précarité de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne pour les saisonniers à Lourdes ou assumant la fonction d’aumônier diocésain de l’Action catholique ouvrière.
Nous avons été des milliers à bénéficier de ses conseils, de son soutien, de sa bienveillance. Son dernier grand combat – gagnant – aux côtés de la CGT a été celui des MG Call en 2015-2016. Le mot clé de sa démarche de militant était « dignité ».
Nous sommes fiers d’avoir milité à ses côtés et nous continuerons modestement son combat.
Les funérailles de Jean-Pierre ont eu lieu mardi 23 mai à 11h à l’Eglise Saint Jean-Baptiste du quartier de Lannedarré à Lourdes.
Deux articles consacrés à Jean-Pierre HOUILLON
Ci-après l’article de presse de Pierre CHALLIER, journaliste à la Dépêche du Midi, paru le 1er avril 2013, retranscription intégrale par Jean-Luc AMBROSINI.
«Curés convertis à la cause des travailleurs, les prêtres ouvriers n’ont pas toujours été en odeur de sainteté auprès des catholiques ne partageant pas leur façon de lutter contre la pauvreté. Ils ne se comptent plus que vingt-cinq en Midi-Pyrénées dont trois Tarbais».
La Cgt ? Là où officie Jean-Pierre HOUILLON, à l’Union Locale de Tarbes. Regard bleu lumineux et serein, sandales,…à 82 ans, il vient toujours y bûcher son éternel pile de dossiers à plaider. Car dans la vie de Jean-Pierre HOUILLON, il y a les textes et les écritures. Et les textes pour défendre les droits des salariés aux Prud’hommes, des plus vulnérables surtout les précaires.
« Un père fils de notaire, une mère fille de banquier… traditionnellement dans la famille de ma mère, l’homme était directeur de banque, la femme présidait aux dames de charité. Le banquier créait des pauvres, sa femme leur posait des pansements », résume-t-il.
Lui naît à Belfort, 11 000 ouvriers à l’époque. Puis le père – chrétien social – ingénieur chez Alsthom est muté à Tarbes. « Entré au séminaire en 1950, j’ai été ordonné en 1956. Pendant mon service militaire j’ai lu – prêtre au cœur des masses – et – les saints vont en enfer, comprendre -au boulot -, ça m’a plu », poursuit-il.
De fait, … »rendre au christ les foules qui l’ont perdu », lancé par Monseigneur Suhard dans les années 1940, le message a déjà fait l’écho auprès d’une centaine de prêtres ouvriers bien décidés à ré évangéliser la France industrielle d’après-guerre. Mais jugés trop proches des communistes, Rome leur intime l’ordre de choisir entre l’église et l’usine, ce 1er mars 1954.
Pion à Saint-Pé-de-Bigorre, Jean-Pierre joue au rugby en soutane avec ses élèves « pour qu’ils puissent respirer », passe vicaire à la cathédrale, puis part un an à Lyon avec les prêtres du Prado, pionniers des prêtres ouvriers français sous la houlette de monseigneur Ancel. « C’était au moment de Vatican II et des grandes espérances car les choses bougeaient ». 1965 : Rome lève l’interdit. Curé d’Aureilhan, c’est en chauffeur de bus que Jean-Pierre décide d’aller à la rencontre de ses paroissiens.
1967, « les copains en avaient marre des heures sup non payées. On s’est réuni dans un bistrot pour élire les délégués du personnel. On s’est mis d’accord sur la Cgt – des gens sérieux – m’avait dit mon père. J’ai été élu et licencié en suivant. J’ai gagné tout seul aux Prud’hommes et comme j’avais gagné, j’ai osé défendre les autres ». Des dizaines, des centaines, des milliers de dossiers, depuis. Il est redouté. Mais « jamais de prosélytisme au travail », souligne-t –il.
Le pape François ? « Il a quand même la volonté de mettre sa vie en lien avec ce qu’il dit », estime cet adepte du possible et du faisable. »
Ci-après l’article de presse de Jean-François COURTILLEe, journaliste, paru dans la Semaine des Pyrénées
Jean-Pierre HOUILLON, le semeur d’espérance
Prêtre et conseiller juridique aux Prud’hommes : la double vocation de Jean-Pierre HOUILLON a de quoi surprendre. Elle semble pourtant naturelle en écoutant cet homme de 78 ans au cœur juvénile, profondément habité par le goût de la justice sociale et la compassion envers les plus fragiles. Bigourdan d’origine, Jean-Pierre a été sensibilisé très tôt à la question sociale.
D’abord, en découvrant les difficultés de son père, ancien directeur d’Alstom dans les Hautes-Pyrénées. «Je lui ai toujours gardé mon affection, même si j’ai choisi une autre voie que la sienne». Puis, en découvrant la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, après avoir choisi d’entrer au séminaire de Tarbes. «J’ai été profondément marqué, lors d’une année de formation en région Lyonnaise avec les prêtres du Prado, par la découverte des cités de Vaulx-en-Velin, et par le témoignage de Jo. Ce prêtre vivait avec beaucoup de simplicité au milieu de la population des banlieues».
Ordonné prêtre à son tour, pour le diocèse de Tarbes-Lourdes, Jean-Pierre va servir dans plusieurs paroisses : Saint-Pé-de-Bigorre, la cathédrale de Tarbes, puis Aureilhan où il restera 25 ans. Là, il prend conscience que les hommes et les femmes de sa ville consacrent leurs journées à leur activité professionnelle. Alors, il choisit un deuxième métier. Et il devient conducteur de car à mi-temps pour la STAP, rejoignant ainsi le rang des «prêtres ouvriers» de la région. «Assurant le ramassage scolaire, je rencontrais à l’arrêt de bus les parents des enfants que j’accompagnais en catéchèse. Ceux-ci m’appelaient «Monsieur l’Abbé» dans le car, et «Jean-Pierre» au catéchisme ! ». Au bout de quatre ans d’activité, avec d’autres salariés de la compagnie, Jean-Pierre décide de créer une section syndicale, pour tenter d’obtenir le paiement des heures supplémentaires. La majorité des salariés choisit de rejoindre la CGT, comme Jean-Pierre. Mais peu de temps après, il est licencié. «J’ai déposé un dossier auprès du Conseil des prud’hommes. Après une longue procédure, qui s’est achevée en Cour de cassation à Paris, j’ai gagné mon procès. L’entreprise a dû verser des indemnités. C’était la première fois qu’un salarié licencié gagnait en Cour de cassation contre un employeur !».
Cette expérience intensifie l’engagement social de Jean-Pierre Houillon. Embauché dans une nouvelle entreprise, toujours comme conducteur de car, il est élu en 1979 conseiller aux Prud’hommes sous l’étiquette CGT. «Dès 1976, nous avions créé un service juridique, pour aider les salariés à monter leur dossier en vue des Prud’hommes, et pour plaider en leur faveur». Président de la section commerce en 1980, Jean-Pierre HOUILLON a néanmoins le droit de plaider dans les quatre autres sections du Conseil des Prud’hommes. L’activité du service juridique grandit au fil des années. «Entre 2003 et 2008, nous avons présenté et plaidé 2500 dossiers ! Nous sommes passés de 40 dossiers par an en 1979 à 600 dossiers pour l’année 2008. La disparition des grands centres de production industrielle, le développement des PME et l’essor du travail précaire expliquent cette hausse des affaires traitées par le Conseil des Prud’hommes dans les Hautes-Pyrénées».
Selon Jean-Pierre HOUILLON, c’est le système économique actuel qui incite souvent les petits patrons, eux-mêmes soumis aux pressions des grandes entreprises nationales ou internationales, à pousser leurs salariés vers la sortie. Alors, le rôle des Prud’hommes devient essentiel, pour corriger de tels excès. Environ 70 % des salariés défendus par le service juridique de la CGT à Tarbes ont obtenu gain de cause devant le Conseil. «L’un de mes plus beaux souvenirs : deux jeunes coiffeuses, arrivées psychologiquement détruites à notre permanence de la Bourse du travail. Nous avons préparé et plaidé leur dossier et elles ont gagné, peu avant Noël. Quelques jours après l’audience, elles se sont déguisées en père Noël et ont préparé une petite fête. Elles avaient retrouvé leur sourire».
En 2005, Jean-Pierre HOUILLON, prêtre retraité, abandonne son mandat de conseiller prud’hommal. Mais il continue son action au service juridique de la CGT. Tout en célébrant baptêmes, mariages ou funérailles, à la demande des familles de personnes côtoyées dans le cadre de son activité professionnelle ou syndicale. «Parfois, je remplace, à sa demande, tel ou tel confrère, à l’occasion d’une messe sur Tarbes ou dans le secteur rural de Lourdes. Je suis encore aumônier diocésain de l’Action Catholique Ouvrière dans les Hautes-Pyrénées, et au service de la mission ouvrière à Lourdes». Il accompagne les permanences organisées par la Jeunesse Ouvrière Chrétienne auprès des saisonniers de Lourdes. «Une population de plus en plus menacée, en raison de son statut précaire, et des périodes hivernales où le travail se fait rare».
Jean-Pierre est heureux de voir arriver des jeunes au service juridique de la CGT, pour préparer le relais. «Nous sommes aujourd’hui une équipe de 15 personnes». Chaque semaine, il reçoit de nombreux salariés en difficulté à la permanence de la Bourse du travail, prépare une vingtaine de dossiers, puis va plaider, au Conseil des Prud’hommes de Tarbes, et parfois à la Cour d’appel de Pau. Qu’est-ce qui continue à motiver cet éternel jeune homme de 78 ans ?
«Je pense souvent à ce psaume de la Bible : « Ils sont arrivés en pleurant et ils sont repartis en chantant ». J’ai vu repartir beaucoup de personnes la tête haute, alors qu’elles arrivaient écrasées par le poids de leur humiliation».
Quand Jean-Pierre HOUILLON se bat pour faire reconnaître les droits des salariés en difficulté, il trouve à ses côtés des hommes et des femmes qui ne partagent pas toujours sa foi chrétienne. «Mais nous sommes animés par le même esprit : tous ont foi en l’humanité et en la fraternité. De mon côté, je pense que le message d’amour de l’Evangile passe aussi par la défense de la dignité des personnes les plus fragiles».
Jean-François COURTILLE